Un texte par Gabriela Ovallé
Le masque est pour beaucoup un élément handicapant de l’expérience interactionnelle optimale. Cacher le visage de moitié enlève des possibilités de se faire comprendre ou de lire les émotions et les subtilités langagières inhérentes à notre culture et à notre espèce sociale.
Et pas n’importe quelle moitié! En effet, cette moitié que l’on cache est d’autant plus importante pour nous, êtres occidentaux hypermodernes, ayant appris que sourire est un des mouvements du faciès le plus porteur de sens. D’ailleurs, d’autres cultures, habituées aux masques, mais aussi à une certaine retenue au niveau des expressions faciales, ne vont pas ressentir ce bout de tissu aussi lourdement que d’autres.
Lorsque l'on ne sourit pas, nos joues ne remontent pas, nos yeux ne plissent pas et ceux qui ont des fossettes, ne creusent pas. Tout est relié dans le corps humain. Dès que l’on cache une partie communicatrice, le message s’en trouve distorsionné. C’est une nouvelle lecture qui doit être apprise. Sans le grand S, nous devenons analphabètes de cette calligraphie émotionnelle. C’est dire comment il parle et que sans lui, la neutralité enclenche une certaine déroute.
Avec le masque, tout semble neutre. En ayant mis tout un pan d’émotions positives dans le sourire et d’émotions négatives dans le non-sourire, le neutre s’en trouve altéré. Finalement, lorsque l’on est neutre, nous prenons en fait, inévitablement parti.
Il est maintenant acceptable, d’exagérer certaines expressions sous le masque et d’utiliser son corps pour bien communiquer, ou du moins s’assurer que la lecture de son message est juste et comprise de son interlocuteur. En empruntant une forme de danse théâtrale presque burlesque, on arrive à faire comprendre davantage nos intentions. Une manière de compenser les dents cachées et la moue étirée par une sorte de ¨commedia dell’arte¨ convenue.
Comprendre et se faire comprendre sont les bases de la communication mais ce que l’on oublie souvent, c’est que ce n’est pas donné à tout le monde. Les personnes neuro-atypiques avaient déjà ces défis avant le masque, avant la pandémie, avant que l’anxiété soit généralisée. Les malentendus quotidiens sont maintenant amplifiés par une donnée essentielle manquante à la compréhension des émotions de l’autre.
Par ailleurs, existe-t-il des aspects positifs du port du masque au-delà de la santé publique pour les personnes autistes? Qu’en est-il lorsque l’action de sourire est mécanique? Et si, la contraction des muscles zygomatiques était surestimée pour comprendre l’état d’esprit de l’autre?
Pour ma part, le masque me donne la possibilité de ne plus ressentir la pression de ce comportement social. Je n’ai plus à gérer mon visage en public pour la première fois de ma vie. Porter le masque protège de la propagation du virus, mais également de la fatigue et de l’anxiété inscrite dans mon camouflage social. Celui qui me permet de me faire accepter des autres, mais aussi celui que j’ai appris, intégré, analysé et finalement, compris. Au début, je ne me rendais pas compte que je n’avais plus à me modeler, mais je vois bien que la manière d’emprunter la porte extérieure n’est plus la même.
La seule différence est ce masque qui enlève le mien.
Je suis consciente que ce n’est que temporaire et que je ne vis pas dans une autre culture que celle-ci. Ceci dit, cette réalisation me permet de me projeter dans un avenir où je connais maintenant le sentiment d’être moi en environnement inconnu. Je sais ce que les autres ressentent quand ils se sentent eux-mêmes et ce, sans réfléchir et sans imiter. Bien sûr, je l’ai ressenti avant aussi. Avec mes proches. Dans des ¨safe space¨ également. Ce qui est différent maintenant, c’est que je peux le vivre sans avoir le sentiment d’être acceptée, sans savoir s’il y a une ouverture d’esprit et sans même me préoccupée d’être comprise en tant que personne Asperger. C’est comme être dans l’égalité des chances vers l’émancipation de soi. Le masque a libéré une idée, un sentiment de sécurité, une appartenance au monde autour de moi.
Il est vrai que l’on porte tous en nous un masque selon les lieux, les personnes et les évènements de notre vie. Or, un diagnostic tardif me confirme que j’en ai porté un en métal très longtemps, alors que j’aurais apprécié un doux coton. C’est le monde à l’envers lorsque l’on constate que la pandémie nous rapproche de la société.
La vie reviendra à la normale éventuellement. Les constructions sociales reprendront leurs forces centrifuges. La sur-responsabilisation individuelle à l’américaine du destin de chacun se synchronisera avec nos biais. Seulement, je crois qu’il faudra un jour se positionner sur l’acceptation des cerveaux atypiques en créant une inclusion de la différence dans toutes les sphères sociales. Un jour, l’émancipation de tous sera vue comme nécessaire pour combattre la virulence de l’exclusion. Alors, peut-être qu’être normal, voudra enfin dire, être soi. Peu importe ce soi.
Si le masque peut peser maintenant, il serait intéressant de réfléchir à ceux et celles qui doivent en porter depuis toujours pour protéger les autres de l’inconfort. Nous ne communiquons pas tous de la même façon et il est possible que se comprendre prenne véritablement forme à moitié-chemin.
-Gabriela Ovallé
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